La faïencerie à St Christophe au XVIIIe Siècle

La « ville » de St Christophe connut au XVIIIe siècle une période de grande prospérité; elle était due certainement à la création du Duché paierie de  La Vallière auquel était rattachée la Baronnie de St Christophe. Nombre d’officiers seigneuriaux ou royaux (juges, avocats, procureurs, notaires, trésoriers, conseillers royaux…) y étaient installés entraînant de ce fait le développement de l’artisanat et du commerce. Il est d’ailleurs significatif de voir que la population  s’accrut dans de grandes proportions à cette époque passant en 100 ans de 1300 à 1700 habitants. Parmi les artisanats qui connurent une période faste, l’un des plus originaux et des plus rares fut certainement la faïencerie  qui, pendant un demi-siècle, fut la seule de toute la Touraine et porta même quelque peu ombrage aux grandes faïenceries de Nevers. 

Certes, l’industrie de la poterie de terre (jarre, pot à lait, à rillettes, plat pour le four) était très ancienne à St Christophe mais jusqu’au début du XVIIIe siècle, la vaisselle ordinaire de table était en étain voire en bois chez les pauvres gens. Ce n’est qu’à cette époque que se développèrent dans les grandes villes, à Strasbourg, à Marseille, à Rouen et à Nevers des fabriques de vaisselle et d’objets en faïence émaillée et décorée.

Industrie relativement complexe, la faïencerie nécessitait une grande surface d’ateliers et de nombreuses pièces pour le brassage de l’argile, le tournage, le séchage, la décoration, parfois la deuxième cuisson au petit feu et le stockage de la marchandise. Il fallait surtout d’excellents ouvriers tourneurs et décorateurs.

C’était une affaire importante et l’on reste quelque peu étonné qu’un petit artisan potier de campagne, habitant d’un village ait osé le premier de toute la province de Touraine se lancer dans cette aventure. Il s’appelait Pierre Epron (1688-1761) et était originaire de St Christophe. Pendant près de cent ans, lui et ses descendants poursuivirent cette fabrication en concurrençant les plus grands et notamment Nevers.

La date d’origine de la faïencerie à St Christophe est difficile à  préciser (entre 1730 et 1738) mais il est vraisemblable que le passage de la poterie à la faïence a dû se faire progressivement ; comme le dit un document d’époque, « ce ne fut pas sans soins, peines et épreuves. » Dans ce même document qui donne comme fondateurs de la faïencerie, Pierre Epron et Etienne Guerche, il est dit que « l’un des deux a été à Nevers où il a travaillé quelque temps. » Il paraît vraisemblable que ce soit ce dernier âgé de 23 ans  en 1730 qui y ait appris le métier et qui d’ailleurs épousa la fille de Pierre Epron en 1737. En bref, Pierre Epron l’aîné (qui avait dépassé la quarantaine) apportait sa fabrique, sa connaissance de la poterie ainsi qu’un réseau commercial établi et Etienne Guerche sa jeunesse, son dynamisme et sa compétence dans la réalisation nouvelle de la faïence.

Mais la fabrication de la faïence (ce qui n’était pas le cas de la simple poterie) nécessitait une autorisation royale que ne possédaient pas les faïenciers de St Christophe. Tant que leur production avait été confidentielle et la commercialisation locale, ils ne rencontrèrent aucune difficulté, mais lorsqu’elle se développa au risque de porter tort à d’autres producteurs officiels, des plaintes furent déposées auprès de l’administration royale ; il devint donc nécessaire de régulariser la situation administrative de la fabrique.

Le premier pas fut un contrat d’association passé devant notaire en 1738 entre les fondateurs Pierre Epron, Etienne Guerche et le demi-frère et les fils de Pierre.

 

Façade actuelle de la Maison du Dauphin
Façade actuelle de la Maison du Dauphin

La faïencerie travaillait sur deux sites : dans un grand bâtiment situé derrière la maison du Dauphin (actuellement rue des Potiers), bâtiment qui a disparu, et au hameau de la Chartrie qui comportait à cette époque 19 maisons et 101 habitants.

Ayant fait une association en bonne et due forme, les faïenciers de St Christophe adressèrent au conseil royal une requête en 1740 pour obtenir l’autorisation nécessaire et le monopole local pour la fabrication de la faïence. En dépit du soutien de M. de Lesseville, intendant royal de Tours, il fallut deux années et un échange important de lettres donnant des justifications et des  explications diverses  pour convaincre le contrôleur général et responsable du conseil royal pour les faïenceries. Et ce ne fut qu’en décembre 1742 qu’à défaut d’autorisation officielle, il leur fut accordé une tolérance. Elle équivalait à une véritable autorisation  et dans sa lettre, le contrôleur royal M. Ory demandait même à l’intendant royal de Tours de prendre la fabrique de St Christophe sous sa protection de façon à empêcher toute concurrence.

Et pendant tout ce temps, la faïencerie n’en continuait pas moins à fonctionner et à prospérer. Aussi faisait-elle  des envieux. A St Christophe même, deux ouvriers, Trudelle et Laval qui avaient travaillé chez Pierre Epron voulurent fonder une autre faïencerie en 1747; ils en furent empêchés par l’intendant royal. Il en avait été de même en 1745 pour un dénommé Loiseau qui préféra s’installer à Malicorne.

A Tours, un dénommé Gigandelle avait essayé avec la recommandation du Maire et des échevins d’adresser une demande aux autorités royales en mars 1745 mais elle avait été refusée.

Face à cette concurrence qui se faisait jour de partout, nos  faïenciers de St Christophe sentirent la nécessité d’occuper le terrain et en juillet 1745, Mathurin et Bernard Epron fils du fondateur Pierre Epron partirent installer une nouvelle fabrique à St Pierre-des-corps, rue des Ursulines ce qui permit à la faïencerie des Epron  de conserver jusqu’en 1770 l’exclusivité de la fabrication en Touraine.

La faïencerie de St Christophe continua à prospérer dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle à tel point qu’à partir de 1749, il avait fallu faire appel à de la main d’œuvre qualifiée, étrangère au pays, venant de Nevers, de Rouen ou de Paris. En dépit d’un léger fléchissement dû à la concurrence de l’étranger et des nouvelles fabriques à Tours, treize ouvriers travaillaient encore à la fabrique du Bourg en 1783 et autant à la fabrique de Tours.

Mais à la fin du XVIIIe siècle, l’art de la faïence arrivait à son déclin à Nevers comme à St Christophe. Il faut l’attribuer à l’afflux de la poterie « crème » économique, dite faïence fine d’Angleterre, favorisé par le traité de commerce signé avec ce pays en 1786.

La belle période était terminée pour la faïencerie de St Christophe même si l’on note que l’on fabriquait encore de la poterie à la maison du Dauphin en 1810.

La production de St Christophe a été variée: Fabrice Mauclair, note dans son étude sur « l’artisanat local », après avoir étudié les inventaires faits au décès de Pierre Epron, que «  la production était constituée essentiellement d’ustensiles et objets domestiques : plats, assiettes, écuelles à oreilles, assiettes creuses et pots. Plus rares sont les productions de salières, cafetières, bénitiers ou gobelets. »

« A cette production, il faut ajouter des pièces plus exceptionnelles : statues, vases et épis de faîtage. »

Nous connaissons donc la nature de la production mais il est très difficile de la caractériser.

En effet, dans la vaisselle courante et les plats de décoration pour le peu que nous en connaissions, les faïences de St Christophe comme d’ailleurs les faïences tourangelles présentent des analogies notables avec les faïences nivernaises et rouennaises. Ces analogies résultaient autant de l’influence exercée par la diffusion en masse de leurs productions que de la circulation des décorateurs et tourneurs d’un atelier à l’autre. N’ayant pas de style propre, influencées tantôt par Nevers, tantôt par Rouen, les faïences de St Christophe sont donc difficilement reconnaissables.

Aussi dans son ouvrage « Documents sur les anciennes faïenceries françaises », Monsieur Gerspach, administrateur des Gobelins, note pour St Christophe et Tours en 1891 : « Leurs produits sont inconnus. »

Un an plus tard, l’Abbé Bosseboeuf est plus prolixe sur la production de St Christophe : « On connaît de la fabrique de St Christophe quelques statuettes de la Vierge, de St Gilles, de St Pierre (l’une est placée à l’angle de la maison du Dauphin qui était occupée par les Epron) ainsi qu’un certain nombre de plats de formes variées, ronde, ovale ou polygonale avec décors de fleurs et rinceaux. Il faut signaler encore des vases de différentes dimensions et surtout deux petits vases de poupée en forme de coupe, ornés de fleurs et la signature de M. (Mathurin) Epron qui appartiennent à M. Hébert, juge de paix à Neuvy-le-Roi. L’objet le plus intéressant que nous ayons trouvé est un épi de faîtage en terre cuite émaillée, formé d’un personnage assis sur une boule, coiffé d’une sorte de chapeau d’Arlequin, et qui tient une bouteille et un verre ; cette pièce qui a 45cm de haut, servait sans doute d’enseigne d’auberge. »

« On rencontre fréquemment dans les maisons de St Christophe et des environs, des faïences d’ornement ou de service, qui proviennent de cette fabrique et se sont transmises de génération en génération non sans un certain sentiment d’amour-propre de clocher. » (cf. article de l’abbé Bosseboeuf. 1892)

Lors de la grande semaine de Tours (5-13 mai 1934), une exposition rétrospective de la céramique tourangelle du XVIIIe au XXe siècle eut lieu à l’Hôtel de ville ; on y trouvait une trentaine d’objets en faïence de vaisselle décorative faite à St Christophe : assiette, saladier, plat, huilier, jardinière de style nivernais et certains plats d’inspiration rouennaise dont une grande partie provenait de familles christophoriennes.

Statue de St Pierre avant et après restauration

L'arrière de la statue porte la date de fabrication et le nom de son auteur : Pierre Moreau dont le contrat d'apprentissage, signé en 1732 avec Pierre Epron, figure dans les archives de maître Bigot, notaire à St Christophe.

Jusqu'en 2008, on pouvait admirer la statue de St Pierre à l’angle de la maison du Dauphin, 12 rue des potiers ; celle-ci a été déposée par son propriétaire qui l'a fait restaurer et il la conserve chez lui.

Deux épis de faîtage visibles sur le toit du N°10 de la rue Chaude

Deux épis de faïence vernissée jaune en forme de quilles ou de chandelles (un cylindre surmonté d’une flamme pointue) placés sur les lucarnes et un gros épi de faîtage, de composition et de couleur identique représentant un coq sur un pichet à anse sont encore visibles sur la maison sise au n° 10 de la rue Chaude.

Mademoiselle Verrier a conservé celui qui coiffait le toit de son hôtel des « Glycines ». Il est aussi en faïence vernissée de couleur brun chocolat. Assez volumineux,  il mesure 60 cm de haut : il se compose de bas en haut, d’un tronc de pyramide sur la face antérieure duquel sont placées trois fleurs de lys dans une couronne et deux étoiles dans les coins du bas ainsi que la date de 1762 au-dessus de la couronne; un cylindre marqué d’une étoile surplombe le tronc de pyramide avec une colombe à son sommet.

Enfin, lors de la vente aux enchères qui, en 2000, a suivi la mort de M. Gérin habitant place Jehan d’Alluye, le commissaire-priseur a vendu quelques faïences qu’il a attribuées aux fabriques de St Christophe. Elles étaient semblables et pouvaient être aisément confondues avec celles qui étaient fabriquées à Nevers au XVIIIe siècle.           Quant aux faïences ménagères dont parle l’abbé Bosseboeuf et celles qui furent présentées à l’exposition de 1934 à Tours, peut-être existent-elles encore dans les familles ? Nous n’en avons pas eu connaissance. Cet article aidera peut-être à les faire ressortir de leur anonymat et nous permettra ainsi de mieux connaître ce qu’a été la production des faïenceries de St Christophe.

Deux assiettes assez semblables, celle de  gauche provient de Nevers

et celle de droite aurait été fabriquée à St Christophe.

 

 

Guy Bodeven, membre de l'association

"Histoire et Patrimoine"