L’activité textile à Saint-Christophe

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il n’était pas rare de trouver dans les intérieurs des habitants de Saint-Christophe des ourdissoirs, des dévidoirs, des claies à battre la laine, des braies à fendre le chanvre, des rouets, des métiers à tisser et d’autres outils couramment utilisés dans l’artisanat textile. Il faut dire qu’avant la Révolution, près d’un quart de la population de notre village se consacrait de manière plus ou moins permanente à cet artisanat ; Saint-Christophe tirait ainsi parti de sa proximité avec les grands centres de production textile de l’Ouest de la France (Maine, Anjou, Perche).

Au sein de l’activité textile pratiquée à Saint-Christophe, il faut distinguer la fabrication des "toiles " (travail du chanvre, du lin et du coton) et des étoffes de laine. Dans le premier cas, il s’agit d’une industrie très dispersée, exercée par une majorité de "tessiers " (tisserands) qui, pour la plupart, sont artisans en complément d’une autre activité (essentiellement agricole). À l’intérieur de leur habitation, on ne trouve habituellement qu’un métier à tisser souvent mêlé à un autre type d’équipement professionnel. Ainsi, Pierre Nouet, "tessier"  installé à la Péseraie, possède en plus d’un "métier à faire la toile" muni de tous ses ustensiles une charrue complète et quelques animaux. À noter que le métier à tisser de ce tisserand est placé dans une cave, lieu particulièrement approprié pour la fabrication de la toile. Quelques tisserands occupent d’ailleurs des troglodytes tel Martin Bardet qui, en 1780, vit et exerce son activité dans une cave des Ruettes.

À la tête de la production toilière on trouve moins d’une dizaine de marchands fabricants. Ils achètent la matière première, la confient à des travailleurs extérieurs chargés du peignage et du filage et font ensuite fabriquer les pièces de toile dans des ateliers composés de deux ou trois métiers à tisser, en recourant à des ouvriers qualifiés ; ils peuvent aussi confier le tissage à des tisserands payés à façon. Les toiles sont ensuite vendues aux particuliers ou aux marchands sur les marchés de Saint-Christophe ou de Château-du-Loir ; la production est destinée à la Touraine, au Maine ou au Berry. Pierre Goguet, dont la maison et la "boutique" sont situées dans le faubourg de Vienne, est l’exemple type du "marchand tisserand ". En 1785, son domicile regorge de coton, de lin et de fil. Dans l’atelier, où trônent deux métiers à tisser, cinq pièces de toile de 46 aunes chacune (environ 55 mètres) sont achevées ou en cours de réalisation.        

La fabrication des étoffes de laine fait très tôt la réputation de Saint-Christophe puisqu’en 1684 l’auteur anonyme d’un Voyage en Touraine signale que parmi les bourgs de la Gâtine "on remarque Saint-Christophe, avec une manufacture renommée de draps, d’étamines et de droguets". Au milieu du XVIIIe siècle, Saint-Christophe est plus particulièrement connu pour sa production d’étamines "tant en blanc qu’en couleur". Les premières sont vendues au Mans ou à Tours à des négociants qui les font teindre en noir avant de les envoyer en Espagne, au Portugal, en Italie ou "dans les îles où elles servent à faire des habillements et soutanes de prêtres" ; les secondes "se consomment presque toutes dans le pays". Durant la même période, la manufacture de Saint-Christophe produit aussi des demi-serges en blanc et en couleur ainsi que des droguets "sur étain" de différentes couleurs. Toute cette production exige un travail beaucoup plus concentré que pour la toile et le recours à des ouvriers spécialisés, la plupart compagnons. À Saint-Christophe, cette activité est dominée par une dizaine de marchands fabricants qui ont une envergure économique bien supérieure à leurs homologues tisserands ; ils appartiennent entre autres aux familles Pineau, Allard, Soloman, Mocquet, Leroy, Challeau. Presque tous ont obtenu des lettres de maîtrise et ont été reçus devant la justice seigneuriale, ce qui leur vaut le titre de "maître ". Organisés en communauté, ils choisissent parmi eux deux "jurés gardes" chargés d’enregistrer les pièces déposées au bureau de marque et de mener des visites d’inspection dans les ateliers pour faire respecter les statuts et règlements. La production et la vente des étoffes de laine sont en effet sévèrement encadrées. Tout fabricant doit apposer sa marque et payer des droits en conséquence. En 1737, l’inspecteur des manufactures de la généralité de Tours de passage à Saint-Christophe fait saisir une demi-pièce de "droguet sur étain" appartenant à François Pineau sur laquelle il manquait les "noms et plombs " prescrits.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les maîtres sergers et étaminiers de Saint-Christophe achètent la laine à des marchands locaux ou de Tours ; la marchandise peut également provenir de Sologne. La matière première est nettoyée et préparée dans leurs ateliers ou en dehors par des "peigneurs " (dits aussi "cardeurs" ou "tireurs d’étain") avant d’être confiée aux fileuses à domicile du bourg ou des environs ; les fileuses sont des filles célibataires ou des femmes d’artisans et de paysans qui trouvent dans cette activité un revenu d’appoint voire leur unique ressource. La qualité de leur travail n’est pas toujours bien considérée. En 1770, les maîtres de la manufacture estiment que pour améliorer la production "il faudrait avoir des fileuses qui filassent le lainage plus fin, ce qui ne se trouve point dans le canton". L’étape finale (le tissage) a le plus souvent lieu dans les boutiques des maîtres qui possèdent entre deux et quatre métiers à tisser. Mais ces derniers peuvent aussi confier ce travail à des "sergetiers" payés à la tache et travaillant pour leur compte.

À la fin du XVIIIe siècle, la manufacture de laine de Saint-Christophe connaît, à l’instar de l’ensemble de l’industrie textile du royaume, quelques difficultés. En 1770, les maîtres déplorent que "leur communauté est diminuée depuis quelques années au moins de moitié rapport à la cherté des laines, au défaut de commerce et [aux] fréquentes faillites" essuyées par une partie d’entre eux. Malgré ces déboires, l’activité textile à Saint-Christophe traversera la Révolution et se maintiendra jusqu’au XIXe siècle.

 

Pour en savoir plus sur l’artisanat à Saint-Christophe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nous vous renvoyons au mémoire de maîtrise de Fabrice Mauclair consultable à la bibliothèque municipale.   

 

Cette activité va malheureusement, comme nous allons le constater, continuer de péricliter tout au long du XIXe  siècle, et ce, sans que la Révolution qui ne perturba pas trop la vie locale, n'y soit pour quelque chose.

Pour montrer ce déclin, nous utiliserons les registres de recensements de la commune ainsi que quelques renseignements fournis par Mme Martine Hubert-Pellier qui a effectué des recherches sur la vie des troglodytes dans notre département. En effet une grande partie de l'activité textile locale se passait dans les caves où le degré d'hygrométrie était très favorable au tissage, mais peut-être moins pour la santé des tisserands.

En consultant  les minutes notariales de maître Charles Amédée Fourchault, notaire à Saint-Christophe, on trouve, dans un inventaire après décès du 21 mai 1877, chez François Blot, ouvrier tisserand, suite à la mort de son épouse :

"En une cave servant d'habitation sise à Larray, commune de Saint-Christophe :

Dans la cave d'habitation : cinq paires de lances à tisser prisées ensemble cinq francs,

Dans une autre cave, à côté : un métier à usage de tisserand et ses accessoires, le tout prisé dix francs"

En consultant les recensements effectués au cours du XIXe siècle, nous pouvons établir le tableau suivant :

 

Année

Tisserands

Age moyen

Fileuses

Age moyen

Population totale

1836

51

36 ans

?

 

1517

1841

42

37 ans

16

51ans

1504

1846

29

45 ans

13

63 ans

1522

1851

25

46 ans

?

 

1392

1861

18

52 ans

10

73 ans

1234

1866

11

55 ans

?

 

1127

1872

7

63 ans

?

 

1079

1876

5

51 ans

?

 

1120

1881

3

62 ans

?

 

1108

1886

2

65ans

?

 

1111

1891

2

71 ans

?

 

1141

1901

0

 

?

 

1054

Pour ce qui est des tisserands, nous constatons que leur nombre n'a cessé de diminuer tout au long du siècle, alors que leur moyenne d'âge augmentait, ce qui montre que cette profession ne se renouvelait pas.

En ce qui concerne les fileuses, tous les recensements ne font pas état de cette profession qui bien souvent n'était qu'une occupation temporaire et annexe. Avec les quelques données trouvées, nous pouvons, là aussi, tirer le même constat. Il faut aussi noter que, parmi les 10 fileuses répertoriées en 1861, 8 sont qualifiées "d'indigentes, secourues par la charité" et la plupart d'entre elles vivent seules, car célibataires ou veuves.

Il est à noter que deux des illustres Christophoriens qui furent honorés par un monument édifié dans notre village, Eugène Hilarion et Fulgence Raymond, eurent des pères tisserands. Celui d'Eugène Hilarion ne devait pas rouler sur l'or puisque le Conseil Municipal de l'époque décida que ce dernier bénéficierait de l'école gratuite au titre d'enfant d'indigent ; c'est peut-être pour cette raison que, devenu très riche, il décida, une cinquantaine d'années plus tard, d'aider son village natal.

Nous pouvons aussi remarquer que la plus grande partie des tisserands habitaient l'agglomération et principalement les quartiers populeux, riches en caves, comme les Ruettes, le Te Deum et le Faubourg de Vienne.

Dans les premiers recensements nous trouvons quelques autres professions en rapport avec l'activité textile :

Des fabricants qui peuvent être "de toiles", "de cotonnades", "de couvertures" ou simplement "fabricant et marchand".

Un teinturier, des cardeurs, et un filetoupier (celui qui bat le chanvre pour en extraire la graine).

Le métier de tisserand n'étant pas des plus lucratifs, beaucoup d'entre eux exerçaient une profession annexe et c'est ainsi que nous trouvons, dans le recensement de 1851, un tisserand "sacriste" (sacristain), un tisserand journalier et un tisserand cabaretier à la Malle Poste. 

Cette disparition progressive, au cours du XIXe siècle, de l'activité textile à Saint Christophe comme dans les villages de la proche région, est essentiellement due à la révolution industrielle entraînant la mécanisation du filage et du tissage et la fin du travail à domicile. A la fin du siècle, la quasi-totalité de ces activités se déroulaient dans des ateliers et usines où la machine avait remplacé les hommes.

 

Fabrice Mauclair et Lionel Royer pour l’association "Histoire et Patrimoine de Saint-Christophe-sur-le-Nais".